Georges Green ou la destinée
(Wuthering Heights)
« Le flux du rotationnel d'un champ vectoriel à travers une surface égale la circulation de ce champ sur le contour de cette surface. »
Au fil des années, depuis ma rencontre primordiale avec l'instant où Archimède souleva le monde,
je chasse à l’affût les scènes de catharsis scientifique, ces moments où l'épuration de soi laisse transparaître le monde même. Parce que je traque, que je guette l'instant où être témoin de l'absence même, il m'est arrivé encore d'en ramener d'autres dans mes filets.
Je vais essayer de vous conter ma dernière prise, telle qu'elle m'a saisi en mai 2011, dans l'écrin de sa gangue contextuelle : il me faudra un lent récit pour laisser, sans le briser, éclore ce frêle papillon de mai.
Tout vient de mes interrogations sur un ensemble de formules profondément apparentées, cruciales en physique, et mathématiquement « difficiles ». Ce sont « les formules de Stokes », à savoir la formule de Stokes-Ampère, celle de Green-Ostrogradski, et celle de Green-Riemann, qui apparaissent toutes comme cas particulier d’une formule très générale et très abstraite, dite formule de Stokes :
Voici les très hermétiques formules de Stokes.
Je les fais figurer ici essentiellement comme "objets graphiques", elles sont à contempler plutôt qu'à lire, puisque pour un lecteur non-scientifique, elles sont strictement illisibles...
La formule de Stokes générale "abstraite" : (début vingtième siècle) \[\int_{\Omega}{\rm d}\omega=\int_{\partial\Omega}\omega\] où \(\Omega\) est une variété à bord de dimension \(n\), de bord \(\partial\Omega\), \(\omega\) une \((n-1)\)-forme différentielle, et \({\rm d}\) est la dérivée extérieure.
Les formules qui suivent sont volontairement écrites analytiquement, dans un repère orthonormé direct.
On peut donner du rotationnel et de la divergence des définitions intrinsèques qui permettent une formulation plus compacte, mais cela ne ferait que masquer la difficulté réelle, puisque c'est plus ou moins sous la forme que je vous donne ici que ces formules ont été initialement trouvées, énoncées, et plus ou moins démontrées...
Formule de Green-Riemann : (1828)
Si \( \omega=P{\rm d}x+Q{\rm d}y\) est une 1-forme différentielle, \(K\) un domaine compact du plan \(\mathbb{R}^2\), délimité par une courbe orientée \(\partial K\), alors \(\displaystyle{
\iint_{\partial K}\Big[\frac{\partial Q}{\partial x}-\frac{\partial P}{\partial y}\Big]{\rm d}x{\rm d}y=\int_{\partial K}P{\rm d}x+Q{\rm d}y}\)
Formule de Green-Ostrogradski : (circa 1860)
Pour un champ \(\vec F\), un domaine compact de l'espace \(K\) délimité par une surface orientée \(\partial K\), de composantes \(F_x, F_y , F_z\) selon les axes \(Ox, Oy, Oz\) :
\(\displaystyle{
\iiint_{\partial K} \Big[\frac{\partial F_x}{\partial x}+\frac{\partial F_y}{\partial y}+\frac{\partial F_z}{\partial z}\Big]{\rm d}x{\rm d}y{\rm d}z
=\iint_{\partial K}[F_x\cdot({\rm d}y\wedge{\rm d}z)+F_y\cdot({\rm d}z\wedge{\rm d}x)+F_z\cdot({\rm d}x\wedge{\rm d}y)]}\)
La divergence de \(\vec F\) est le champ scalaire \(\displaystyle{
\langle\vec\nabla\vert\vec F\rangle=\frac{\partial F_x}{\partial x}+\frac{\partial F_y}{\partial y}+\frac{\partial F_z}{\partial z}}\) (c'est la trace de la différentielle de \(\vec F\) ).
Formule d'Ampère-Stokes : (circa 1860)
\(S\) étant une surface dans l'espace, appuyée sur un contour orienté \(\partial S\), qui est une courbe gauche :
\(\displaystyle{
\oint_{\partial S} [F_x\cdot{\rm d}x+F_y\cdot{\rm dy}x+F_z\cdot{\rm d}z]=\iint_{S}\Big(
\Big[\frac{\partial F_z}{\partial y}-\frac{\partial F_y}{\partial z}\Big]{\rm d}x+
\Big[\frac{\partial F_x}{\partial z}-\frac{\partial F_z}{\partial x}\Big]{\rm d}y+
\Big[\frac{\partial F_y}{\partial x}-\frac{\partial F_x}{\partial y}\Big]{\rm d}z
\Big)}\)
Le rotationnel de \(\vec F\) est le champ vectoriel \(\vec\nabla\wedge\vec F\), de composantes \(\displaystyle{
\Big[\frac{\partial F_z}{\partial y}-\frac{\partial F_y}{\partial z}\Big],
\Big[\frac{\partial F_x}{\partial z}-\frac{\partial F_z}{\partial x}\Big],
\Big[\frac{\partial F_y}{\partial x}-\frac{\partial F_x}{\partial y}\Big]}\)...
Ce que « racontent » ces formules est à la fois très concret et très délicat à transcrire dans une autre langue que la mathématique : plus on s’éloigne de la géométrie pure, de l’image, plus le langage naturel fait défaut. Il est donc plus difficile de décrire le mouvement qu'une image statique, le mouvement d’un objet complexe que celui d’un point… Or, ces formules décrivent (en partie) le mouvement d’ensemble d’un fluide élastique, et encore, d’un « fluide » lui-même abstrait : un « champ de vecteurs».
Le lecteur non-scientifique devra peut-être renoncer à se faire une idée précise de ce que décrivent ces formules, mais j’ai essayé pour lui de faire sentir à la fois leur sens et la difficulté de le transcrire. Le lecteur scientifique me pardonnera les approximations nécessaires pour m’exprimer en langage naturel.
Si je réussis à évoquer la vision, la sonorité, sans dessiner une image nette ou faire résonner une mélodie articulée, cela suffira à transmettre l’émotion qui m’a étreint en découvrant qui était Georges Green.
Depuis des années, je me refuse à présenter en cours la démonstration usuelle, très partielle, de la formule de Green-Riemann telle qu'elle est au programme :
cette preuve, valable sous des hypothèses très artificiellement restreintes, n'a aucune valeur explicative et n'apporte pas de sens à la formule. Mais je m'interrogeais sur la possibilité de donner au moins une preuve heuristique, à l'instar des physiciens pour "leurs formules de Stokes", preuve qui aurait le mérite d'être convaincante et éclairante, à défaut d'être rigoureuse. Puis je desespérai de pouvoir apporter quelque chose de pertinent au « raisonnement physicien ».
Voici l'étrangeté majeure sur laquelle je butais, comme beaucoup ceux qui envisagent une tentative semblable :
À travers les formules qui définissent analytiquement la divergence et le rotationnel d'un champ, il est presque impossible de "voir" leur sens :
--- pour la divergence, c’est « la mesure de l'étalement de la "gerbe" des lignes de champ »,
--- pour le rotationnel, c’est « la mesure de la vorticité locale du champ » (i. e. la façon dont champ, analogue d'un écoulement fluide, tourbillonne au voisinage de chaque point).
[pour un liquide, l’incompressibilité se traduit localement par la nullité de la divergence, qui mesure, pour "un fluide élastique", sa "dilatation ou compression locale"].
Ce qui permet (en général) de faire voir ce « sens caché » à travers les « définitions analytiques, aveugles » de la divergence et du rotationnel, ce sont justement les formules de Stokes-Ampère et Green-Ostrogradski. (Et encore, difficultueusement, il faut des années pour rendre parfois clair cet entr'aperçu aux étudiants).
Autrement dit : il faut d'abord interpréter les théorèmes pour pouvoir donner une image des objets sur lesquels ils portent.
Puisqu'il fallait disposer des théorèmes pour en voir le sens, on ne pouvait guère s'appuyer sur ce sens pour trouver ces théorèmes... Essayer de comprendre comment ils avaient pu être découverts m’a plongé dans un abîme d’étonnement.
Est-il possible de trouver d'abord un théorème, et de n'en comprendre le sens qu'a posteriori ?
Oui, on trouve parfois la preuve, le chemin vers le résultat avant le résultat lui-même, pour peu que la démonstration soit facile, que le chemin soit assez clairement tracé pour, à notre insu, nous faire déboucher de fourrés obscurs dans une clairière lumineuse qu'on ne pressentait pas...
Mais dans le cas des formules de Stokes, une telle « découverte heureuse » est invraisemblable :
Il faudra attendre plus d'un demi-siècle entre la découverte et l'exploitation de ces formules comme soubassement de l'électromagnétisme et de la dynamique des fluides, pour qu'on en trouve une démonstration rigoureuse.
Plus encore, pour qu’elles apparaissent comme cas particuliers « naturels » de la formule « simple » générale [ \(\int_{\Omega}{\rm d}\omega=\int_{\partial\Omega}\omega\) ], il faudra quelques décades de plus, et un formalisme poussé qui coupe totalement la version "mathématiquement moderne" de la forme et du sens « concret » qui ont présidé à leur découverte.
Les formules de Stokes semblent être un jardin d'Eden parfaitement entretenu au cœur d'un taillis inextricable qui en interdirait l'accès.
Je me suis vite convaincu que les physiciens ne sont arrivés à ces résultats, que poussés, tirés, mus, par le principe de réalité, par la nécessité de mathématiser l'idée de champ, création informelle et visionnaire de Faraday. Mais cette conviction sur le pourquoi n'explique rien du comment :
la preuve "heuristique des physiciens" est assez facile à suivre, mais son point de départ reste invisible.
Si le calcul par "éléments infinitésimaux, de surface ou de volume" des intégrales de surface du rotationnel et de la divergence, sont des exemples typiques de raisonnements classiques de "calcul infinitésimal naïf" (proche de sa naissance), conservé vivace par les physiciens, cela n’explique en rien la raison pour laquelle on aurait voulu calculer ces intégrales de "grandeurs abstraites", privées de "sens a priori", puisque le sens n'en apparaîtra qu'a posteriori, révélé par le résultat du calcul.
C'est ainsi que j'ai fini, pour moi-même plus que pour mes élèves, par aller fouiller rêveusement l'Histoire de ces formules pour y trouver l'image originelle, celle qu'il fallait voir avant de penser à montrer.
Pourquoi en matière de mathématiques, la fouille archéologique ne peut-être que rêveuse ?
La mathématique ne procédant que par avancement, efface derrière elle son origine, l'enfouit dans son inconscient. Comme elle produit une vérité uchrone, toute vérité ancienne, cessant d’en être une, est refoulée.
Toute recherche des racines de l'idée est donc une fouille de l'inconscient des mathématiques, vers lequel le rêve est la voie royale.
Ces formules élaborées, "tri-dimensionnelles", m'ont semblé devoir découler logiquement et historiquement de celle de Green-Riemann, forcément ancestrale, car plus primitive [selon moi, car au début de ma recherche, je connaissais rien de la chronologie de ces découvertes] : un bout de plan délimité par une courbe, c'est plus simple qu'une surface dans l'espace appuyée sur un contour gauche...
À l'instant où je me formulai ce désir de remonter à cette source putative, je fus frappé de mon ignorance :
Je savais "très bien" qui étaient Riemann, Ampère, Gauss, Maxwell, Stokes, (Ostrogradski, non), mais j'ignorais TOUT de Green. Je demandai à mes collègues ou amis, physiciens ou matheux, ce qu'ils en savaient.
RIEN
Sauf, comme moi, que ce nom a trois occurrences dans la littérature mathématique contemporaine : les "fonctions de Green", et la "formule de Green-Riemann", et le "tenseur de Green" (en résistance des matériaux), que je ne savais pas dater.
J'allai m'enquérir sur le net d'une biographie de cette figure en creux...
L'essentiel de la courte biographie qui suit est un quasi copier/coller de Wikipedia, mais même par d'autres sources, on ne trouve guère d'autre trace sur la vie et l'œuvre de Georges Green que ceci :
Georges Green est né en 1793 à Sneinton, (faubourg de Nottingham, aujourd'hui intégré à la ville. À l'époque, c'est un village isolé, et Nottingham est encore un gros bourg rural).
Son père est boulanger. De 8 à 9 ans, Georges reçoit une instruction primaire à l'académie de Robert Goodacre(*1), comme quelques autres enfants du village.
La boulangerie, en expansion, n'offrant pas assez de travail pour deux hommes adultes, son père construit un moulin qui en fournira la farine, et Georges devient meunier à plein temps, à 24 ans. Mais il commence à y travailler, par goût et par jeu, auprès de William Smith, le premier meunier et père de sa future compagne, depuis ses 14 ans.
C'est un moulin à vent "moderne", de haut rendement mais instable : il faut le règler en permanance en fonction des fluctuations erratiques du vent, ce qui nécessite donc une attention constante.
À cette époque, même à la ville (Nottigham), il n'y a qu'un seul habitant ayant une culture scientifique reconnue, John Toplis, un amateur qui n'a rien produit, et aucun indice que Georges Green l'ait rencontré.
On ignore tout de la façon dont Georges Green a eu accès aux travaux sur les théories naissantes de l'électricité et du magnétisme, ou aux textes mathématiques de Laplace, Ampère, et surtout de Poisson, sa référence majeure, de l'académie des sciences française(*2).
En 1828, à 35 ans, il édite à compte d'auteur, payé par la souscription de 51 personnes de son village, un mémoire :
« Essai sur l'application de l'analyse mathématique aux théories de l'électricité et du magnétisme. »
Il est imprimé à 100 exemplaires, et il est à peu près certain qu'aucun des 51 souscripteurs n'a pu en comprendre ni même en lire quoi que ce soit.
Ce mémoire contient l'essentiel de l'assise mathématique de la théorie des champs à venir, théorie qui irrigue encore toute la physique contemporaine.
En 1831, Edward Bromhead, professeur à Cambridge, tombe par hasard sur ce mémoire, sur un marché de Nottigham où il est de passage(*3).
Il prend contact avec Georges Green à qui il conseille de venir suivre des études universitaires.
Green ne donne pas suite durant deux ans : il est convaincu d'être incapable de faire des études, car il ne parle ni le latin ni le grec.
Finalement (convaincu par son entourage ?), il rentre comme étudiant à Cambridge fin 1832, à près de 40 ans. À 44 ans, il est "College Fellow", et il publie encore six autres articles.
(En optique et en hydrodynamique, de très haut niveau, mais pas aussi "fondateurs" que le mémoire 1828).
À 46 ans, le 31 mai 1841, il meurt, rongé par la maladie et sans doute l'alcoolisme. De Jane Smith, sa compagne depuis 1823 (qu'il n'a pas épousée), il a sept enfants.
William Thomson, (futur Lord Kelvin), tout jeune, a croisé Geoges Green sur les bancs de l'université. En 1845, il fera rééditer le mémoire de 1828. C'est par cette réédition, que cette œuvre nous est parvenue, et a ensemencé la science contemporaine.
Le moulin a été restauré en 1986, et sert à la fois "d'écomusée" et d'exposition sur la vie et l'oeuvre de Green.
Et c'est tout. (*123 voir les notes complémentaires, tout à la fin)
Bien sûr, on perçoit immédiatement la grandeur de cette vie si humble, nul ne peut s'empécher d'être ému à l'évocation d'une si haute modestie.
Mais pour retranscrire la vision qui m'a foudroyé à la lecture de ce récit, il me faut encore vous décrire ce que rapporte "l'histoire officielle" de la naissance de l'électromagnétisme.
On attribue -à juste titre- l'invention du concept champ (électrique et mais surtout magnétique) à celui qui l'a nommé ainsi, Michael Faraday, qui de fait l'a baptisé ainsi. De tous les acteurs de cette histoire, il est bien le premier. (né en 1791, deux ans avant Green il a déjà d'innombrables contributions scientifiques à son actif quand Green tire son mémoire à 100 exemplaires, et étudie l’électromagnétisme depuis 1821. Mais il ne commence à penser en termes de champ qu’en 1831, 3 ans après l’édition originale de Green, dont il n'a bien sûr pas connaissance).
Cet immense physicien a ceci de singulier qu'il est absolument non-mathématicien. C'est un prodigieux inventeur, un expérimentateur de génie, qui va devenir, presque malgré lui, un théoricien absolument original en vertu même de ses lacunes dans l'univers de l'abstraction symbolique :
les lois qu'il découvre sont empiriques, formulées comme de simples relations de proportionnalité (Loi de Lenz-Faraday : le travail des forces électromagnétiques d'un circuit, placé dans un champ magnétique, est proportionnel au produit de l'intensité et du flux coupé par le circuit lors de son déplacement, et il s'oppose au déplacement.)
Son matérialisme (au sens étymologique) extrême lui rend inacceptable, voire incompréhensible l'idée d'action à distance; il ne peut se résoudre à admettre sous leur forme usuelle les lois d'attraction Newtonienne ou Coulombienne, et jusqu'à l'idée de vide. C'est ainsi que, pour lui même, il se forge une image de ce qu'il y a dans l'entre-deux des courants et des charges, des aimants qu'il voit interagir dans son laboratoire : une charge (un courant) étend dans l'espace ambiant des "tentacules" qui s'affinent avac la distance, et ce sont ces tentacules entremêlés qui attirent, repoussent, se meuvent les autres, par contact direct et non par interraction par delà un vide qui lui est impensable. En quelque sorte, Faraday revient aux tourbillons de Descartes, que Newton avait rangés aux oubliettes.
CITATION d'un article en ligne de Gerard Borvon sur Faraday :
« Faraday --- écrit Maxwell--- voyait par les yeux de son esprit, des lignes traversant tout cet espace où les mathématiciens ne considéraient que des centres de forces agissant à distance ; Faraday voyait un milieu où ils ne voyaient rien que de la distance ; Faraday cherchait le siège des phénomènes dans des actions réelles, se produisant dans ce milieu, tandis qu’ils se contentaient de l’avoir trouvé dans une puissance d’action à distance particulière aux fluides électriques.» (introduction au Traité d’Electricité et de Magnétisme. Maxwell. 1873)
Ces "lignes de force" (avec Maxwell, nous disons aujourd’hui "lignes de champ") ont, pour Faraday, des propriétés physiques concrètes et observables.
Par exemple, celles du champ électrique. De toute charge électrique positive, Faraday "voit" partir une ligne de champ qui rejoint nécessairement, quelque part, une charge électrique négative équivalente. Les propriétés de ces lignes de champ expliquent les actions et mouvements observés.
Elles expliquent l’attraction : Ces lignes de champ sont élastiques et soumises à une "tension" longitudinale. Tendues comme un ressort, elles auront tendance à rapprocher les charges électriques, de signe contraire, placées à leur extrémité.
Elles expliquent la répulsion : les lignes de champ issues d’une même charge électrique ou d’une charge de même nature se repoussent latéralement.
Elles s’écartent de la charge ponctuelle qui les produit. Elles écartent, également, l’un de l’autre deux corps portant des charges identiques.
Elles s’accordent, aussi, avec la loi mathématique d’action à distance : les lignes de champ sont plus denses à proximité d’un corps chargé, c’est pourquoi le corps qui s’y trouve placé sera soumis à un nombre plus grand de nombre de lignes de forces et donc plus fortement attiré ou repoussé.
La loi de Faraday, telle que Faraday se l'explique :
Les champs magnétiques sont eux mêmes constitués de lignes de force reliant deux pôles opposés. Tendues dans leur longueur elles se repoussent également latéralement.
Mais leurs propriétés sont bien plus spectaculaires. Si elles sont "coupées" par un conducteur mobile, à l’image des tiges d’un champ de blé tranchées par la lame d’une faux, une "force électromotrice induite" se crée dans le conducteur qui les coupe et provoque la circulation d’un courant dans celui-ci.
Pour être plus précis : la quantité d’électricité qui traverse ce conducteur est proportionnelle au nombre de lignes de champ coupées. Ou encore :
L’intensité du courant électrique est proportionnelle au nombre de lignes de champ coupées par unité de temps. [Fin de CITATION]
Mais cette description de la matérialité des interactions électromagnétiques n’est pour Faraday que le support imagé où poser sa pensée, et ne constitue pas selon lui, un résultat en soi.
C'est George Gabriel Stokes, qui pousse le Grand Ancien Faraday à publier sa "théorie des champs", en 1846, et c'est William Thomson, compagnon d'étude de Green avant d'être le collègue et ami de Stokes, qui donnera une formulation mathématique publiable du concept.
Ce qui préside à cette prodigieuse naissance, c'est que le premier outil de calcul, qui donne à l'idée informelle de champ une efficience qui va donner corps et réalité à la "pure idée" du champ électromagnétique, cet outil est déjà là, depuis 18 ans, mûri de longues années durant dans un moulin isolé.
Au duo avant-gardiste Stokes-Thomson s'adjoindra James Clerk Maxwell, qui publie en 1865 une théorie "complète" de l'électro-magnétisme "classique" en 20 équations à vingt inconnues, qu'il synthéthisera en 8 équations plus "conceptuelles" en 1873.
La forme actuelle, réduite à 4 équations plus "globales" est due à Heaviside.
Geoges Green, lui ne parle pas de "champ". Ne parle pas de lui. Ne parle pas.
Son mémoire est abstrait, sans nom, silencieux. Mais bien sûr, il lui fallait bien voir ce que décrivent ses formules muettes.
Son œuvre n'est pas seulement le palais idéal d'un facteur Cheval, créé caillou après caillou, ramassés au bord du chemin pour tromper -d'un rêve magnifique- l'ennui et la pauvreté du quotidien. Ce n'est pas non plus le fruit d'un hasard miraculeux.
...c'est l'œuvre prédestinée à un Meunier.
Je l'imagine, perdant petit à petit conscience de soi et gagnant la conscience de la terre et du ciel à force de solitude, Georges Green, homme sans lettres, (comme se désignait Léonard de Vinci, faute de parler latin), lit les comptes rendus de l'académie des sciences : il lui faut cette difficulté extrême pour meubler son désert de gardien de phare, supporter cette attention permanente au presque rien. Il oublie ses reins brisés par le poids des sacs de farine dans la lecture d'Ampère, de Poisson, et du grand livre du vent.
Ce fluide de lignes qu'imagine Faraday, (qui lui ne les voit pas), pour penser les forces qui animent ses bobines et ses aimants d'une vie propre... George Green, qui n'a fait qu'en rêve les merveilleuses expériences dont il lit les descriptions, ces lignes, Georges Green les perçoit avec la même évidence qu'il voit en rêve les rides à la surface de la Trent et de la Leen, où il se baignait et où il péchait, enfant.
Durant des années, heure après heure, jour après jour, Georges Greene apprend à voir le vent invisible, à lire les lignes mouvantes que le vent peigne dans les blés des champs autour de son moulin. Il apprivoise ses tourbillons, apprend à mesurer à son chant le flux du vent coupé par les ailes de son moulin, auquel est proportionnel le travail de la meule...
Et en quelques dizaines de pages de formules hiéroglyphiques, il transcrit la partition de cette musique silencieuse, décrit cette image invisible, et envoie sa prière au monde en un chapelet d’une centaine de ballons lâchés dans le ciel désert.
Thomson et Stokes seront anoblis, Faraday d’origine très modeste, le refusera, comme il refusera la direction de la Royal Society. L'œuvre immense du baronnet J.C. Maxwell est universellement reconnue comme la charnière, en tout domaine, entre la physique "classique", et les révolutions du vingtième siècle. Stokes fondera la dynamique des fluides.
Riemann, géant des mathématiques, a donné une première vraie démonstration de la formule de Green, comme corollaire de sa création de la première théorie moderne de l'intégrale, et sa théorie des variétés permettra celle de la formule de Stokes actuelle. "L'hypothèse de Riemann" et la résolution des "équations de Navier-Stokes ", sont aux mathématiques actuelles ce que la pierre philosophale et l'élixir de longue vie furent aux alchimistes.
D'inombrables rues, des batiments, des instutions portent leurs nom glorieux.
De Georges Green, on n'a aucune image, aucun manuscrit.
De tous, Georges Green a le plus grand mausolée : parce qu'il a effleuré le monde-même, chaque fois que le grincement d'une charpente sous le vent me ramène aux racines de l'humanité, chaque fois que le ruissellement ondoyant des feuilles d'un peuplier ou d'un saule dans la lumière d'orage nous plonge dans l'oubli de soi, c'est le monde-même qui chante la navigation immobile de Georges Green sur son océan de blé, toutes les voiles de son moulin déployées.
Annexes
Cliquez sur les vignettes, s'il vous plait...
Ampère (et son Bonhomme, |
Lord Kelvin (alias W. Thomson) |
Stokes (et Poisson) |
J.C. Maxwell |
Le moulin de Sneinton... |
Faraday (Et son disque, |
.... Et ici, le mémoire de 1828 reconstitué : Le Mémoire de Green (retranscrit). |
(*1) Robert Goodacre, auprès de qui Green étudie quatre trimestres à l'âge de huit ans, dans son "Académie" de Nottingham, était un sans aucun doute un véritable pédagogue, féru de sciences : il écrivit (pluss tard...) un traité d'astronomie élémentaire pour adolescents qui eut du succès. Bien que son expérience scolaire aît sans doute éveillé la curiosité scientifique de Georges, ce n'est pas auprès de son ancien professeur que Georges aurait pu acquérir la maîtrise qu'il démontre dans son mémoire : au vu des écrits de Robert Goodacre, ce dernier ne possédait qu'une pratique élémentaire de l'algèbre, de la trigonométrie, et des tables de logarithmes.
Durant la jeunesse de Green, Nottingham se développe rapidement. On ne trouve de traité scientifique spécialisé dans ses quelques librairies, mais sans aucun doute des encyclopédie. La première bibliothèque ouvre ses portes vers 1820, et Green s'y abonne vers 1824 : si là encore, on n'y trouve aucun traité spécialisé, la Bibliothèque qui devient rapidement le "centre intellectuel" de la ville, est abonnée à de nombreux journaux étrangers, dont, probablement, le journal de l'académie française des sciences. Il est donc probable que ce soit ici que Georges Green se soit initié, en autodidacte absolu et très tardivement, aux sciences qu'il va révolutionner.
(*2) Siméon-Denis Poisson est le premier à calculer le potentiel (concept dont il est l'inventeur) créé par une distribution continue de charges. En particulier, il démontre que le champ créé par une sphère uniformément chargée est le même que celui créé par une charge ponctuelle, à l'extérieur de la sphère, et que (si la sphère est creuse), il est nul à l'intérieur. C'est ce résultat, qui provoque toujours la même fascination chez les étudiants actuels lorsqu'il le découvrent, qui semble être à l'origine de la passion de Green pour le sujet. Mais Green ira incomparablement plus loin que Poisson, puisque, seul dans son moulin, immédiatement à sa suite, il développe (sans le nommer ) la théorie des champs de vecteurs, là où Poisson s'arrête aux champs scalaires...
Poisson calcule des intégrales multiples, Green crée l'analyse vectorielle...
(*3) Cette version est certainement romancée : en fait, Georges Green a envoyé son mémoire des universitaires et scientifiques reconnus, mais aucun n'a répondu : il est probable que son mémoire est passé inaperçu, parce qu'il s'appuie sur les travaux de scientifiques français qui travaillent alors dans de tout autres directions que l'institution anglaise. C'est donc sans doute par un collègue dubitatif mais curieux, qu'Edward Bromhead, qui le premier reconnaitra la valeur de ce travail, lira le mémoire de Green.