En des glyphes formels, ici, le Geste épouse la Parole.

En un Geste hésitant, ici, le signe opère sur le nombre comme sur le monde.

Voici un lieu du verbe en acte, théâtre de la construction du sens par la forme...

Un terrain de jeu de la mathématique, connaissance élaborée par opposition à l'expérience reçue...

...Et c'est aussi le site de classe de la MP* du lycée Chaptal !

Index de l'article

 

On rapporte l’histoire de Prométhée d'Archimède dans quatre légendes.
Selon la première...

On conte que Hieron II, tyran de Syracuse, ayant fait réaliser une couronne votive d'or pur, soupçonna l'orfèvre de l'avoir forgée en alliage d'or et d'argent. À l'époque, pas d'analyse chimique, pas de pierre de touche pour réaliser l'expertise...
Pour le grand théoricien et praticien de la pesée et de la mesure des volumes, comparer la densité de la couronne à celle de l'or était une évidence, qui se heurtait à une difficulté redoutable : calculer le volume d'un ellipsoïde, d'un cône, d'un paraboloïde, d'accord, mais... d'une couronne de feuillage ? Voici, selon la légende, l'idée qui plongea Archimède dans un enthousiasme toujours vif après 2200 ans : plonger la couronne dans un bassin d'eau plein à ras bord, et mesurer la quantité d'eau qui en déborde.

Cette idée méritait-elle que celui à qui ne manquait qu'un point d'appui pour soulever le monde, le divin Archimède, qui fera preuve face à la mort d'une dignité et d'un détachement presque aussi célèbre, s'oublie à courir nu dans les rues ? (Certes, la pudeur contemporaine rend la scène bien plus dérangeante qu'elle n'a du paraître à l'époque,  mais si le récit de Vitruve le décrit comme une incongruité, c'est que même alors, cela sortait de l'ordinaire...)
Bien sûr, pour tout scientifique contemporain, pour qui l'élégance en science est le raccourci qui coupe à travers  les méandres entremêlés du questionnement, c'est l'extrême simplicité de la réponse, l'extrême facilité apparente (et totalement trompeuse, voir à ce sujet en annexe : la véritable solution)  de sa réalisation, la façon de "déplacer le problème", qui font de cette "si petite découverte" l'archétype de la découverte enthousiasmante. (Etymologiquement, l'enthousiasme est une possession par les esprits...)
Mais quelque chose de plus profond me semble encore inexpliqué:

L'idée d'Archimède est parfaitement jolie, et sa simplicité la rend transmissible au commun des mortels, bien plus que ses travaux majeurs. Mais si Archimède, homme de sens rassis, homme de tant découvertes merveilleuses, est lui même saisi d'enthousiasme par celle-ci entre toutes, est-ce simplement parce qu'elle est "jolie" ?

Je n'y réfléchis toujours pas, mais au jour du surgissement, plongé recroquevillé dans  la baignoire-sabot, ma pensée y paresse.

 

Selon la deuxième, Prométhée ...
Brusquement, l'image cachée est là, foudroyante, bouleversante. Mon cœur bondit, dans ma poitrine le monde se soulève. Je surgis de la salle de bain en transe, j'exulte, je vois, je crie : j'ai trouvé ! [(je n'invente rien)]

Plongé dans sa réflexion, les yeux fermés, Archimède laisse son corps fatigué s'enfoncer lentement dans l'eau.
À l'instant même de l'abandon à l'élément liquide, surgit l'image de la forme complexe qui disparaît progressivement dans l'eau sans forme, au fur et à mesure que son niveau monte.
Ce qui fait paraître abstrait ce que nous n'atteignons que par le concept mathématique, c'est qu'il s'agit de"réité" brute, c'est à dire : du "monde-sans-moi". Nous construisons à partir des stimuli de nos sens une représentation cohérente que nous nommons réalité, faite de touches de sons, de parfums, de contacts, de "percepts" élémentaires que nous tissons dans une trame conceptuelle, symbolique, de mots, d'acquis, de connaissance atavique, qui la rend intelligible, utilisable. Parce que notre réalité est constitutivement humaine, la langue naturelle est inapte à saisir la réité, l'en-deça  du réel, le sous-humain, le "monde-sans-moi". Lorsque nous voulons faire remonter à la surface humaine le récit des rares moments d'intimité avec les racines  du monde, nous devons le faire à travers une langue qui n'est construite que pour cela, qui est la mathématique.
Alors que rien n'est plus concret que le contact avec le sous-humain qui fait l'objet des mathématiques, la construction symbolique nécessaire pour transmettre l'expérience de ce contact donne une illusion d'abstraction à ceux pour qui elle fait obstacle.
Voici donc  la scène indicible que cache et révèle la légende :
à l'étage humain, notre élaboration de l'espace nous interdit de percevoir "de l'espace" sans lui donner une forme.
Nous concevons de l'étendue d'espace, du volume, comme une abstraction, car nous ne percevons l'espace qu'à travers la forme. Le nombre "pur", la "quantité", est une abstraction du "nombre de...",  de la "quantité de...", car l'élaboration de notre appareil perceptuel par notre appareil conceptuel semble nous interdire une perception immédiate de "la matière de l'espace sans la forme".  Pour toucher la substance de l'espace, il faut perdre la forme humaine, perdre la conscience de soi pour accéder à la conscience du monde.
Au fur et à mesure que le corps d'Archimède plonge dans son bain, il s'efface de sa conscience : le sens premier, avant la vue ou le toucher, est la proprioception, dont la principale composante est la perception du poids, et indirectement, celle de la verticale, direction de son poids, qui nous oriente, nous situe dans l'espace. L'eau déplacée par le corps d'Archimède annule son poids, sa présence à lui-même, et efface la forme de la couronne, laissant surgir le volume. Archimède touche physiquement le nombre même, de tout son corps diffusant dans l'univers entier : il fait corps avec le nombre, prête son corps à l'abstraction du "volume-en-soi".
Ou encore, en un éclair, Archimède invente le liquide, c'est à dire : traverse la barrière conceptuelle qui nous interdit de toucher le liquide même. Nous apprenons, à l'école primaire, qu'il y a trois état de la matière :
l'état solide, des corps qui ont une forme propre, l'état gazeux, des corps qui emplissent tout le volume de leur contenant, et l'état liquide, des corps qui prennent la forme de leur contenant, en conservant leur volume.
...qui prennent la forme de leur contenant, et non pas : qui n'ont pas de forme, car nous n'arrivons pas à penser le volume sans forme.
À travers l'évanouissement de la forme de la couronne dans l'eau, Archimède, lui, atteint le sans-forme, l'essence indicible de l'élément liquide.

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Un coup de dés...

 

De Cantor à Dedekind :
Ce que je vous ai communiqué tout récemment est pour moi-même si inattendu, si nouveau, que je ne pourrai pour ainsi dire pas arriver à une certaine tranquillité d'esprit avant que je n'aie reçu, très honoré ami, votre jugement sur son exactitude.

Tant que vous ne m'aurez pas approuvé, je ne puis que dire : Je le vois, mais je ne le crois pas .



De Dedekind à Cantor :
Votre démonstration m'a entièrement convaincu [...] Votre théorème est exact, mais il remet en cause les articles de foi admis jusqu'à présent.