En des glyphes formels, ici, le Geste épouse la Parole.

En un Geste hésitant, ici, le signe opère sur le nombre comme sur le monde.

Voici un lieu du verbe en acte, théâtre de la construction du sens par la forme...

Un terrain de jeu de la mathématique, connaissance élaborée par opposition à l'expérience reçue...

...Et c'est aussi le site de classe de la MP* du lycée Chaptal !

Index de l'article

 



\int_0^\infty e^{-t^2} dt=\frac{\sqrt{\pi}}{2}



Je suis ici, sans doute un peu malgré moi, mais pleinement, prof de maths.

Depuis toujours, je compose mes propres textes de travail, rarement originaux sur le fond, mais souvent sur la forme :

Il semble étrange au novice qu'alors que le discours mathématique a une telle réputation d'objectivité qu'il semble pouvoir se passer totalement d'auteur, (et même à la limite d'auditeur ou de lecteur), il est pourtant presque impossible de bien entrer en mathématiques par le texte traditionnel, qui semble se suffire à lui-même, sans être porté par un enseignant.

C'est qu'en fait, le traité classique ne présente que l'objet produit par les mathématiques, et non la production, et selon le canon de l'esthétique mathématique dominante, le produit mathématique achevé se doit d'être parfait, atemporel, dépouillé d'affect, d'histoire, d'enjeu, d'aspérité, c'est un corpus de réponses qui, devançant tout questionnement possible, efface ainsi le cheminement tortueux qui l'a engendré... La perfection, le parfait, est un temps du passé, celui de ce qui n'a plus cours, de ce qui est figé.

Or, les mathématiques réelles sont pur mouvement, agitation, fouissement, recherche, doute, déplacement, transmutation.
Le «texte canonique» dit bien ce vers quoi tend le mouvement de la pensée mathématique, mais efface toute la tension en semblant atteindre son but.
Il faut dire qu'il fait admirablement semblant...
Une des singularités de la langue mathématique est que sa sémantique (son contenu) est entièrement constitué des plis et replis de sa syntaxe, et que nous engendrons constamment notre propre langue, localement reconstruite, réadaptée à ce qu'on veut lui faire dire. Lorsque l'étudiant voit un théorème profond couler de source des prémisses d'une théorie, au point que, s'il est assez doué, il peut parfois le réinventer «de lui-même» (à sa plus grande joie, et tant mieux, car c'est un moteur puissant), alors qu'il est l'aboutissement de siècles de réflexion, c'est que les termes mêmes utilisés dans son énoncé, la syntaxe du langage dans laquelle on le formule, contiennent en eux même presque toute la démonstration, et ont été conçus a posteriori, longtemps après la découverte, pour rendre naturel ce qui a été si difficilement acquis.

Ce mode d'écriture épuré est indiscutable, beau, nécessaire, pertinent :
C'est ce qui permet de condenser en quelques années d'étude des milliers d'années d'efforts de la pensée.
C'est ce qui séduit le mathématicien débutant, avant qu'il soit laissé face à la question ouverte.
C'est la forme achevée qui seule permet de valider le cheminement, etc...

Mais cela ne permet pas plus de comprendre le faire des mathématiques, que la contemplation d'un diamant taillé ne permet de percevoir les puissances telluriques qui se manifestent dans ses reflets.

Alors qu'il semble qu'«il ne se passe rien» dans une égalité, puisque il semble évident qu'énonçant «a=b», constater qu'une chose est elle même n'est guère un progrès, dans la réalité vivante, on égale a à b, et il faut souvent un immense effort pour que a fasse b, et passer de la «forme a» à la forme bien distincte, b, d'un même «être» mathématique, qui, constitué de tous ses avatars, évolue au fur et à mesure qu'on en trouve d'autres expressions, propriétés, usages...

Sous l'atemporel «a=b» se dissimule toujours un processus de transmutation de a en b.

Le tableau noir, la craie, l'effaceur, le support de l'intonation, de la respiration, permettent à l'enseignant de mettre en scène la (le) geste mathématique, mais dans sa forme usuelle, le texte écrit n'en laisse voir que l'achèvement. Il y a de très nombreux traités d'excellente facture, mais les auteurs scientifiques qui tentent avec bonheur d'écrire la mathématique vivante sont bien rares.
(Dans les grands, on peut citer Feynman pour la physique, et Serge Lang pour les mathématiques. Tous deux sont anglophones, et morts... Mais aussi Etienne Ghys, qui fait danser l'abstraction dans un français rare et limpide, et encore Ivar Ekeland. Et sans doute d'autres que j'ignore... )

C'est ce que j'essaie de faire au niveau le plus élémentaire dans mes polys, et c'est la raison pour laquelle ils ne constitueront jamais un «cours complet», donc publiable : ce sont des éléments disparates, des bribes de dialogues, des gestes suspendus. Et cela fait bien longtemps que je pense que la souplesse de l'arborescence, non linéaire, non chronologique, mouvante, des pages d'un site, est le seul biais pour mettre ma petite production à disposition de son petit public...

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Un coup de dés...

Toutes les peurs oubliées sont de nouveau là, [...] la peur que ce bord déchiré d'une lettre ouverte ne soit un objet défendu, [...] la peur qu'un chiffre ne puisse commencer à croître dans mon cerveau, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de place pour lui en moi;
la peur que ma couche soit en granit, [...]la peur de ne pouvoir rien dire parce que tout est indicible, et les autres peurs, les peurs.

J'ai prié pour retrouver mon enfance, et elle est revenue, et je sens qu'elle est toujours dure comme autrefois et qu'il ne m'a servi à rien de vieillir.

Rainer Maria Rilke,
les cahiers de Malte Laurid Brigge.